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Les trois points clés du rapport Piveteau Wolfrom sur l’habitat inclusif


Sauriez-vous définir l’habitat inclusif avec exactitude. Imaginons que vous soyez élu d’une collectivité locale qui souhaite créer un habitat adapté pour ses concitoyens fragiles. Savez-vous comment vous y prendre. A qui faire appel pour la construction. Quelle règlementation s’applique. Quelles sont vos obligations. Comment impliquer la population dans le projet. Comment en profiter pour créer de l’emploi local et de l’attractivité pour le territoire. Comment choisir les futurs habitants. Combien de temps dure le chantier et combien il coûtera.


Les questions sont nombreuses – et j’en oublie certainement plusieurs. Le fait est que la construction d’un habitat collectif pour les publics fragiles est un parcours du combattant dès lors que vous sortez des sentiers battus du médico-social ou du privé commercial (résidence service seniors).

Le législateur a essayé de dénouer l’écheveau en proposant une définition de l’habitat inclusif dans la loi ELAN. Mais ce texte est insuffisant. Contrainte de s’adapter à une situation antérieure, la loi doit trouver une justification, un régime et des outils de contrôle au volet animation de l’habitat inclusif. Elle doit surtout encadrer son financement.


Soucieux d’apporter des précisions qui pourront être implémentées dans la future loi Grand Age et Autonomie, le Premier Ministre a commandé un rapport sur l’habitat inclusif qui a été rendu public en juin 2020. Nous l’avons lu, décortiqué, analysé, mis en perspective. Nous l’avons pressé pour en tirer le jus concentré.


Denis Piveteau et Jacques Wolfrom ont remis le 26 juin 2020 au gouvernement un rapport, intitulé « Demain, je pourrai choisi d’habiter avec vous ». Ce texte très attendu a pour ambition de favoriser le développement de l’habitat inclusif en imaginant un environnement légal et administratif propice en vue de la future loi Grand Âge.


Une brève définition de l’habitat inclusif et des notions voisines


L’habitat inclusif, aussi appelé parfois habitat partagé ou habitat accompagné, s’inspire directement du cohabitat, inventé dans les années 1970 dans les pays du nord de l’Europe. Le principe : rassembler plusieurs foyers au sein d’un même lieu de vie — un bâtiment unique ou plusieurs pavillons disposés autour d’espaces extérieurs. Encourager leurs interactions au sein d’espaces partagés. Ces modes sont dits inclusifs quand ils permettent l’intégration de personnes âgées dépendantes ou de personnes souffrant d’un handicap (moteur ou psychique) et qu’ils facilitent l’accès à divers services. Par exemple, les commerces, transports, restaurants, etc.

Sur le papier, le modèle est séduisant.


L’habitat inclusif est souvent perçu comme une « troisième voie » entre le domicile et l’institution. Il permettrait à ses résidents de rester chez soi tout en évitant la solitude. Il serait plus économique grâce à la mutualisation de certaines dépenses.

Il permettrait de renouer avec le vivre-ensemble, encourageant une certaine mixité sociale ou intergénérationnelle entre les résidents. Enfin, il encouragerait l’autodétermination et la capacité à choisir et façonner son lieu de vie, un droit souvent dénié aux individus jugés trop dépendants par la société.


Les chiffres de l’habitat alternatif pour seniors


Les options de « troisième voie » semblent attirer les seniors. Le Conseil de l’âge a ainsi évalué à 155 000 le nombre de seniors vivant en résidence autonomie, résidence service ou habitat inclusif. Leur nombre devrait doubler d’ici à 2030.

Les habitats inclusifs considérés seuls restent quant à eux beaucoup plus modestes. Ils accueilleraient aujourd’hui seulement 3600 seniors. Ils pourraient en accueillir deux à trois fois plus en 2030, sans intervention de l’État.

Attention, ces chiffres sont incertains car le recensement des initiatives n’est pas systématique. Leur catégorisation en tant qu’habitat inclusif reste aléatoire, ce qui explique que le nombre de personnes logées demeure difficile à évaluer.


Le réveil du législateur


Le gouvernement, prenant tardivement conscience des intérêts de l’habitat inclusif, a élaboré un cadre réglementaire afin d’encourager la naissance de nouveaux projets. Quelques mesures ont été adoptées en ce sens depuis 2014 :

  • Création des coopératives d’habitants dans la loi ALUR (2014),

  • Réforme des résidences services dans loi d’adaptation de la société au vieillissement (2015),

  • Définition du concept d’habitat inclusif et de son cahier des charges, identification du « porteur de l’habitat inclusif » et création d’un forfait de financements annuels à destination de ce porteur par la loi ELAN (2019).

  • On peut noter également la mise en place d’un « Observatoire de l’habitat inclusif » réunissant les différents acteurs du secteur et l’élaboration d’un « guide de l’habitat inclusif » par la CNSA.

Ces mesures éparses, sans véritable cohérence, restent largement insuffisantes. En cause notamment la complexité pour monter des projets d’habitat inclusif. Leur coût important est difficile à supporter pour des acteurs isolés.


Les trois points clés du rapport Piveteau Wolfrom


Le rapport Piveteau Wolfrom établit une liste de 56 propositions pour promouvoir ce qu’il nomme désormais « l’habitat accompagné, partagé et inséré dans la vie de la cité » (API). Les auteurs expliquent ce néologisme par leur désir d’aller au-delà du seul habitat inclusif.

Ce texte représente un changement radical dans la philosophie des politiques publiques ayant accompagné l’habitat inclusif jusqu’à aujourd’hui. Il reconnaît le rôle des collectivités et des bailleurs dans le montage des projets.

Les trois points essentiels du rapport, sur lesquels nous allons nous appesantir, sont :

  1. La reconnaissance du rôle des collectivités et des bailleurs dans les projets d’habitat inclusif,

  2. Donner une place centrale au projet de vie partagée, colonne vertébrale de l’habitat inclusif,

  3. Faire de l’habitat inclusif un pilier des politiques du logement, de l’accompagnement du vieillissement et du handicap.


La reconnaissance du rôle des collectivités et des bailleurs dans les projets d’habitat inclusif


L’habitat inclusif est par essence l’aboutissement de la mobilisation de ses résidents. Ce qui le différencie d’une simple colocation regroupant des logements adaptés, c’est la participation des habitants à ce que la loi ELAN nomme « le projet de vie sociale et partagée ». La quasi-totalité des projets d’habitat inclusifs précurseurs a ainsi été portée par des collectifs militants.

Néanmoins, un collectif de citoyens isolé doit surmonter de nombreux obstacles :

  • Les délais, souvent très longs entre l’émergence du projet et sa concrétisation occasionnant des désistements et une vacance locative.

  • Les procédures administratives, nombreuses, complexes et impliquant beaucoup d’entités différentes : bailleur ou promoteur, conseil départemental, commune, ARS, etc.

  • Les compétences requises, extrêmement variées : la gestion du projet immobilier, de la vie commune, des intervenants médico-sociaux, etc.

  • Les financements nécessaires dès l’amorce du projet.

Les projets d’habitat inclusif les plus pérennes sont souvent accompagnés par des organismes professionnels tels que des promoteurs immobiliers ou des bailleurs sociaux.

Une enquête de la DGCS conduite en 2017 auprès des conseils départementaux montre que les porteurs de projets d’habitat inclusif au sein des départements interrogés sont souvent des associations. Cependant, les collectivités et les bailleurs représentent plus des deux tiers des propriétaires.

  • Des mesures évoquées depuis plusieurs années comme la réhabilitation des logements sociaux vacants pour les convertir en habitats inclusifs, ou le regroupement des APA et PCH des résidents pour financer les services.

  • D’autres mesures ambitieuses dans la continuité des politiques de clarification de l’offre médico-sociale à destination des personnes âgées dépendantes. Constitution d’un prêt panier pour faciliter le financement par les bailleurs, constitution de ressources départementales et nationales pour alimenter les projets, réunion des acteurs impliqués au sein d’une conférence départementale des financeurs élargie.

Si cela représente un progrès qui devrait permettre une amélioration de l’accompagnement, on peut regretter une sous-estimation du rôle fondateur des initiatives privées, qu’elles soient associatives ou commerciales. Ainsi on aurait apprécié l’introduction de davantage de passerelles entre les individus et les organismes publics ou parapublics.

Le rapport énonce plusieurs propositions clés pour permettre aux collectivités locales et aux bailleurs sociaux de jouer pleinement leur rôle de support juridique et financier.

Le rapport introduit une nouvelle aide individuelle de plein droit, l’Aide à la Vie Partagée (AVP) qui vient remplacer l’actuel forfait habitat inclusif. Il ajoute également un forfait versé aux personnes non bénéficiaires de l’APA ou de la PCH mais qui souhaiteraient bénéficier des services mutualisés au sein de l’habitat API, reconnaissant ainsi des situations de perte d’autonomie légère (personnes âgées de Gir 5 notamment).


Tableau comparatif des aides individuelles actuelles et futures hypothétiques


Donner une place centrale au « projet de vie sociale et partagée »

La création d’un habitat partagé, et a fortiori d’un habitat inclusif, donne lieu à deux types de situations :

  • Ou bien le groupe de résidents porte le projet : dans ce cas, les habitants sont réunis par une volonté commune et des liens sociaux préexistants. Une telle configuration ne semble pas requérir d’animation particulière alors qu’elle est particulièrement fragile face aux reconfigurations (départ de certains membres, arrivée de nouveaux résidents) qui ne manqueront pas de se produire au fil du temps .

  • Ou bien le promoteur porte le projet : dans ce cas, les résidents sont recrutés avant d’être réunis. Un travail de réunion de ces individus au sein d’un véritable groupe amené à partager des espaces communs est alors essentiel.

Dans les deux situations, l’habitat partagé peut rapidement se transformer en banale copropriété. Il suffit que l’accent ne soit pas mis dès le départ sur l’animation de la communauté de résidents, la mutualisation de services et l’organisation d’activités communes.


Cette centralité des espaces et activités communs, les rapporteurs l’ont bien comprise et en font leur proposition phare à travers la définition d’une personnalité morale. On l’appellera la « personne porteuse du Projet partagé » ou « personne 3P ». C’est un intermédiaire essentiel à la réussite des projets d’habitat inclusif. La personne 3P peut être le promoteur/bailleur, un groupe de résidents ou un organisme extérieur. Elle sera mandatée pour soutenir les habitants dans l’organisation de la vie partagée et dans les relations avec les services médico-sociaux.


Le rapport propose par ailleurs une certification délivrée à ces personnes 3P pour garantir une qualité de service suffisante aux projets d’habitat API.


Au-delà de cette proposition, le rapport introduit une notion fondamentale dans le champ de la lutte contre l’isolement : le droit à la vie partagée (et par extension à la vie sociale). La lutte contre l’isolement se concentrait jusqu’à présent autour d’une démarche réactive. Le rapport encourage une attitude proactive pour anticiper le risque d’isolement en reconnaissant comme un droit les interactions avec d’autres individus pour les personnes en situation de fragilité. Il entérine par ailleurs ce droit avec la création d’une nouvelle aide, l’aide à la vie partagée qui reconnaît à l’organisation collective un intérêt social en soi, au-delà des aides médico-sociales traditionnelles. En échange, le porteur de projet refacturerait le coût des espaces et activités communs aux résidents, l’aide leur permettant ainsi de s’impliquer davantage dans l’organisation de leur logement.

Malgré ce changement radical de philosophie, tout cela ne semble néanmoins être qu’un vœu pieux.


Le rapport n’indique à aucun moment comment seraient financées ces aides et les nouvelles mesures. L’enveloppe serait 2,1 milliards d’euros sur 10 ans. 1,3 milliard d’euros d’investissement et huit cents millions d’euros de dépenses de fonctionnement. Et compte tenu des circonstances de sa parution au sortir de la crise Covid-19, nous pouvons craindre que les moyens accordés ne soient pas à la hauteur des ambitions.


L’habitat inclusif, pilier des politiques du logement, de l’accompagnement du vieillissement et du handicap


Nous en venons ici à la plus grande force de ce rapport. Le logement, et l’urbanisme constituent des outils précieux pour agir politiquement. Un urbanisme idéal pourrait en théorie améliorer le respect de l’environnement, permettre l’adaptation de la société au vieillissement, encourager l’inclusion et la mixité sociale, favoriser l’activité économique d’une région, etc. L’habitat API est la quintessence de cette multiplicité des rôles accordés au logement, et MM. Piveteau et Wolfrom l’ont très bien compris.


Alors que l’habitat inclusif était encore perçu jusqu’à très récemment comme un ensemble d’initiatives de la société civile, le rapport renverse cette approche et souligne l’intérêt pour les politiques publiques de s’emparer du sujet.


Cette nouvelle approche débute par une réformation complète des aides afin de les rendre plus lisibles aux yeux des utilisateurs, et plus aisées à gérer de la part des financeurs. Les nouvelles aides proposées seraient octroyées de plein droit, avec une faible conditionnalité pour donner davantage de sécurité et de visibilité sur le long terme.


Elle se poursuit à travers une articulation globale des politiques du logement, du vieillissement et du handicap. Le rapport souhaite « faire du déploiement de logements API un levier de la transformation de l’offre médico-sociale » et souligne dans ces logements l’opportunité de relancer l’attractivité du secteur médico-social. De même, les auteurs y voient une réponse potentielle au problème de vacance dans les logements sociaux, via la conversion des logements vides en habitats API.


Que faut-il attendre du rapport Piveteau Wolfrom ?


Le rapport Piveteau Wolfrom tient absolument à clarifier les interactions entre les différentes entités publiques amenées à intervenir sur ces projets. Voila une initiative louable si elle contribue à davantage de lisibilité pour les résidents.


Ainsi s’il représente à certains égards une révolution dans la considération politique apportée à l’habitat inclusif, le rapport Piveteau Wolfrom reste paradoxalement encore trop politique. Fonctionnant en vase clos, il concentre son attention sur le rôle des différents organismes publics et parapublics. Les auteurs ignorent le rôle fondateur des initiatives privées et les interactions souvent complexes entre les différentes catégories d’acteurs.

Les mesures qui seront finalement intégrées dans la loi Grand Âge restent encore incertaines. Néanmoins, beaucoup des propositions sont indépendantes les unes des autres. Certaines propositions clés, comme la création d’une personne 3P et d’une certification ou la mise en commun facilitée de l’APA et de la PCH pourraient à elles seules faciliter et pérenniser les projets d’habitat inclusif.


Nous serons vigilants quant à la mise en œuvre des mesures retenues pour la phase « starter » de 4 ans suggérée par les auteurs.

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